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Les pieds transis, ayant des bottes sans semelle;
Et bientôt, capitaine et soldats pêle-mêle,

Nous ne bougeâmes plus, endormis sur les morts.
Cela dort, les soldats; cela n'a ni remords,
Ni crainte, ni pitié, n'étant pas responsable;
Et, glacé par la neige ou brûlé par le sable,
Cela dort; et d'ailleurs, se battre rend joyeux.
Je leur criai: Bonsoir! et je fermai les yeux;
A la guerre on n'a pas le temps des pantomimes.
Le ciel était maussade, il neigeait, nous dormimes.
Nous avions ramassé des outils de labour,

Et nous en avions fait un grand feu. Mon tambour
L'attisa, puis s'en vint près de moi faire un somme.
C'était un grand soldat, fils, que ce petit homme.
Le crucifix resta debout, comme un gibet.
Bref le feu s'éteignit; et la neige tombait.
Combien fut-on de temps à dormir de la sorte?
Je veux, si je le sais, que le diable m'emporte!
Nous dormions bien. Dormir, c'est essayer la mort.
A la guerre c'est bon. J'eus froid, très froid d'abord;
Puis je rêvai; je vis en rêve des squelettes

Et des spectres, avec de grosses épaulettes;
Par degrés, lentement, sans quitter mon chevet,
J'eus la sensation que le jour se levait,

Mes paupières sentaient de la clarté dans l'ombre;
Tout à coup, à travers mon sommeil, un bruit sombre

Me secoua, c'était au canon ressemblant;

Je m'éveillai; j'avais quelque chose de blanc

Sur les yeux; doucement, sans choc, sans violence, La neige nous avait tous couverts en silence

D'un suaire, et j'y fis en me dressant un trou;
Un boulet, qui nous vint je ne sais trop par où,
M'éveilla tout à fait; je lui dis : Passe au large!
Et je criai: — Tambour, debout! et bats la charge!

Cent vingt têtes alors, ainsi qu'un archipel,
Sortirent de la neige; un sergent fit l'appel,
Et l'aube se montra, rouge, joyeuse et lente;
On eût eru voir sourire une bouche sanglante.
Je me mis à penser à ma mère; le vent

Semblait me parler bas; à la guerre souvent
Dans le lever du jour c'est la mort qui se lève.
Je songeais. Tout d'abord nous eùmes une trève;
Les deux coups de canon n'étaient rien qu'un signal,
La musique parfois s'envole avant le bal

Et fait danser en l'air une ou deux notes vaines.
La nuit avait figé notre sang dans nos veines,
Mais sentir le combat venir nous réchauffait.
L'armée allait sur nous s'appuyer en effet;

Nous étions les gardiens du centre, et la poignée
D'hommes sur qui la bombe, ainsi qu'une cognée,
Va s'acharner; et j'eusse aimé mieux être ailleurs.
Je mis mes gens le long du mur; en tirailleurs.
Et chacun se berçait de la chance peu sûre
D'un bon grade à travers une bonne blessure;
A la guerre on se fait tuer pour réussir.
Mon lieutenant, garçon qui sortait de Saint-Cyr,
Me cria - Le matin est une aimable chose;
Quel rayon de soleil charmant! La neige est rose!

Capitaine, tout brille et rit! quel frais azur!
Comme ce paysage est blanc, paisible et pur!
- Cela va devenir terrible, répondis-je.
Et je songeais au Rhin, aux Alpes, à l'Adige,
A tous nos fiers combats sinistres d'autrefois.

Brusquement la bataille éclata. Six cents voix
Énormes, se jetant la flamme à pleines bouches,
S'insultèrent du haut des collines farouches,
Toute la plaine fut un abime fumant,

Et mon tambour battait la charge éperdument.
Aux canons se mêlait une fanfare altière,
Et les bombes pleuvaient sur notre cimetière,
Comme si l'on cherchait à tuer les tombeaux;
On voyait du clocher s'envoler les corbeaux;
Je me souviens qu'un coup d'obus troua la terre,
Et le mort apparut stupéfait dans sa bièré,
Comme si le tapage humain le réveillait.
Puis un brouillard cacha le soleil. Le boulet
Et la bombe faisaient un bruit épouvantable.
Berthier, prince d'empire et vice-connétable,
Chargea sur notre droite un corps hanovrien
Avec trente escadrons, et l'on ne vit plus rien
Qu'une brume sans fond, de bombes étoilée;
Tant toute la bataille et toute la mêlée
Avaient dans le brouillard tragique disparu.
Un nuage tombé par terre, horrible, accru
Par des vomissements immenses de fumées,

Enfants, c'est là-dessous qu'étaient les deux armées;

La neige en cette nuit flottait comme un duvet,
Et l'on s'exterminait, ma foi, comme on pouvait.
On faisait de son mieux. Pensif, dans les décombres,
Je voyais mes soldats rôder comme des ombres,
Spectres le long du mur rangés en espalier;
Et ce champ me faisait un effet singulier,

Des cadavres dessous et dessus des fantômes.
Quelques hameaux flambaient; au loin brùlaient des chaumes.
Puis la brume où du Harz on entendait le cor
Trouva moyen de croître et d'épaissir encor,
Et nous ne vimes plus que notre cimetière;
A midi nous avions notre mur pour frontière;
Comme par une main noire, dans de la nuit,
Nous nous sentimes prendre, et tout s'évanouit.
Notre église semblait un rocher dans l'écume.
La mitraille voyait fort clair dans cette brume,
Nous tenait compagnie, écrasait le chevet
De l'église, et la croix de pierre, et nous prouvait
Que nous n'étions pas seuls dans cette plaine obscure.
Nous avions faim, mais pas de soupe; on se procure
Avec peine à manger dans un tel licu. Voilà
Que la grêle de feu tout à coup redoubla.
La mitraille, c'est fort gênant; c'est de la pluie ;
Seulement ce qui tombe et ce qui vous ennuie,
Ce sont des grains de flamme et non des gouttes d'eau.
Des gens à qui l'on met sur les yeux un bandeau,
C'était nous. Tout croulait sous les obus, le cloître,
L'église et le clocher, et je voyais décroitre

Les ombres que j'avais autour de moi debout;

Une de temps en temps tombait. On meurt beaucoup,

Dit un sergent pensif comme un loup dans un piége; Puis il reprit, montrant les fosses sous la neige :

Pourquoi nous donne-t-on ce champ déjà meublé?— Nous luttions. C'est le sort des hommes et du blé D'être fauchés sans voir la faulx. Un petit nombre De fantômes rodait encor dans la pénombre; Mon gamin de tambour continuait son bruit; Nous tirions par-dessus le mur presque détruit. Mes enfants, vous avez un jardin; la mitraille Était sur nous, gardiens de cette âpre muraille, Comme vous sur les fleurs avec votre arrosoir. « Vous ne vous en irez qu'à six heures du soir. » Je songeais, méditant tout bas cette consigne. Des jets d'éclair mêlés à des plumes de cygne, Des flammèches rayant dans l'ombre les flocons, C'est tout ce que nos yeux pouvaient voir. Attaquons! Me dit le sergent. - Qui? dis-je, on ne voit personne. Mais on entend. Les voix parlent; le clairon sonne, Partons, sortons; la mort crache sur nous ici; Nous sommes sous la bombe et l'obus. Restons-y. J'ajoutai - C'est sur nous que tombe la bataille. Nous sommes le pivot de l'action. - Je bâille,

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Dit le sergent. Le ciel, les champs, tout était noir; Mais quoiqu'en pleine nuit, nous étions loin du soir, Et je me répétais tout bas: Jusqu'à six heures.

Morbleu! nous aurons peu d'occasions meilleures
Pour avancer! me dit mon lieutenant. Sur quoi,
Un boulet l'emporta. Je n'avais guère foi
Au succès; la victoire au fond n'est qu'une garce.
Une blême lueur, dans le brouillard éparse,

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